Suite à deux incendies majeurs (un dans l'arrière-gare de Henri-Bourassa, et l'autre entre les stations Laurier et Rosemont), il est tôt apparu que les dispositifs prévus pour la lutte aux incendies dans le réseau initial n'étaient pas du tout adéquats. Le métro était promu comme étant absolument "incombustible", mais les planchers en contreplaqué des rames (recouvertes de carrelage en plastique) auraient pu mettre la puce à l'oreille de plus d'un pompier, lesquels sont habituellement très zèlés pour chercher la petite bête... Un journal titrait même "Le Métro ne pouvait pas plus brûler que le Titanic ne pouvait couler". Dans un des cas, il n'aurait suffi que de quelques litres d'eau pour juguler un début d'incendie qui dégénéra vite en conflagration majeure.
Les mesures prises furent, entre autres, l'installation de colonnes sèches et d'extincteurs à intervalles réguliers dans les tunnels. Et un programme de formation à l'intention des divers corps de pompiers municipaux appellés à intervenir en tunnel fut également mis au point.
Pour cela, on profita d'un prolongement technique de la ligne 2, qui laissa une centaine de mètres de tunnel inutilisé pour établir, in situ, le centre de formation. L'incendie de 1972 dans l'arrière-gare de Henri-Bourassa (deux rames se sont tamponées, et une des voitures, tordue, entra en contact aves les barres de guidage. Le court-circuit déclencha l'incendie) ayant démontré que sa configuration à grande profondeur était inadéquate (l'accès des voyageurs se faisait, entre autres, via un couloir d'une centaine de mètres de longueur sans autre issue - les pompiers qui y déroulaient les boyaux devaient revenir sur leur pas quand ils arrivaient sur le quai, leur bouteille d'air étant épuisée à moitié; un pompier même marcha jusqu'à la station suivante, Sauvé, parce que, revenant de l'arrière-gare, il n'avait pas aperçu le quai de la station, tant la fumée était abondante!), il fut décidé d'établir un accès supplémentaire, et d'établir le garage plus près de la surface, d'où la bifurcation en direction du garage Saint-Charles.
La portion de tunnel devenue orpheline allait au moins être mise à bon usage : on en ferait le centre de formation de la prévention des incendies (qu'on appellera dorénavant ici "école des pompiers", parce que ça fait long à prononcer, et je vais manquer bien vite de Muscadet).
Pour accéder à l'école, il n'y a que deux moyens : emprunter une rame qui nous dépose, en tunnel, à l'entrée de l'école, ou bien descendre les échelles du puits de ventilation de la rue Somerville. Nous utilisons la première méthode, plus pépère, mais qui nous gratifiera d'un bon tour en cabine... On se pointe donc, Pierre (un ami échevin, qui a pu user de son influence pour organiser cette visite), Richard (un ami cheminot - le seul chef de train qui m'ai pris à resquiller sur la ligne de Montréal-Rigaud), Claude (un autre cheminot) et moi, de bon matin (pluvieux) au terminus Henri-Bourassa, où on rencontre deux chefs d'exploitation du Métro, le chef des pompiers du Métro (le Métro n'a pas de corps de pompiers pour ainsi dire) et un employé des relations publiques avec son photographe. Après les salamalecs, nous montons à bord d'une rame qui, destinée à être garée, sera détournée pour notre bon plaisir.
Même si nous avions les neuf voitures de la rame pour nous tous seuls, nous nous sommes quand-même entassés dans la cabine de conduite... Après quelques minutes d'attente, c'est le saut dans l'inconnu! Passé l'arrière gare, nous entrons dans le tunnel d'accès au garage. En surface, c'est un bon cinq minutes de marche, mais sous terre, à 60 km/h, c'est interminable (heureusement)... Et les standards de pose de voie ne sont pas les mêmes pour une voie de garage que pour une voie principale : les responsables nous répètent à tout bout de champ de bien se tenir, parce que «ça brasse»... Mais je me suis quand-même cogné sur le pare-brise... Arrivés au garage, nous nous garons sur une des huit voies qui contiennent chacune 2 rames. Pas pour très longtemps, parce que une fois le garde-moteur à l'autre bout de la rame, nous repartons vers le centre d'entraînement.
Les seuls accès de l'école sont par le tunnel, ou bien par le puits de ventilation. Un trottoir a été aménagé au milieu de la courbe, afin de permettre à une rame de descendre des passagers au le centre d'entraînement. Nous stoppons donc là, et la rame restera en stationnement pour la durée de notre séjour...
L'escalier passe un petit peu trop près de la barre de guidage à mon goût, et je m'empresse de ne pas passer trop près... Ce n'est pas la première fois que je constate une certaine désinvolture des employés à son égard...
A cet endroit, la courbe du tunnel est superbe, et permet de prendre d'excellentes photos des rames en tunnel. Après divers discussions avec les responsables, nous entrons finalement dans l'antre des pompiers, où l'atmosphère est humide et sent le moisi... Une équipe de pompiers était là, se préparant à une simulation d'intervention en tunnel. Le tunnel est ce qu'il y a de plus classique, sauf qu'un cabanon y trône, divers cabinets renfermant le bric-à-brac habituel de moyens de lutte à l'incendie. Mais surtout, un élément (M-R-M) au complet qui fut jadis, ici-bas, la proie des flammes, et depuis recyclé comme chaudron pour l'entraînement des pompiers.
Au fond du tunnel, qui amorce une légère pente, comme pour mieux passer sous la rivière pour aller vers Laval, le poste d'épuisement et de ventilation, seule issue possible hormis le tunnel. Le tympan du tunnel est, inexplicablement, en brique. Mais j'ai quand-même pu toucher cette barrière au prolongement du Métro vers Laval, barrière infiniment moins solide que l'obstination des politiciens...
D'ailleurs, j'ai cru remarquer parmi les responsables de l'école, une certaine ironie quant au prolongement vers Laval, du genre « si le métro doit passer par là, il coûtera aussi cher de construire une école identique en surface que de construire un autre tunnel pour aller à Laval »... Et les responsables de l'exploitation emboîtèrent le pas en disant que ça poserait des problèmes de dégarage des trains, dont la seule solution serait d'avoir un tunnel à trois voies, tout ça pour ne pas retourner les rames afin de ne pas foutre en l'air leur ordonnancement. De toutes façons, on ne s'en fait pas trop pour eux, car la STCUM privilégie le prolongement via l'ouest pour desservir Laval, cela étant le bon sens même, car ça équilibrera le traffic sur la ligne 2 et ça desservera les quartiers les plus denses de Laval.
Et d'enchaîner le département du pèttage de bretelles : « nous avons des gens qui viennent du monde entier pour voir ceci et ils nous disent que nous avons la meilleure école du monde ». Sous entendu : il serait stupide de sacrifier ceci pour que le Métro aille à Laval.
A ce moment, le directeur du centre commence à démontrer comment on place une échelle d'évacuation pour évacuer une rame de métro, et propose à Pierre de monter dans la rame par l'échelle. Une fois Pierre monté, la simulation commence : de l'huile minérale est vaporisée sur des résistances chauffées à blanc, ce qui produit un brouillard très dense où on n'y voit goutte. A ce moment, l'éclairage d'appoint est coupé et seul subsite l'éclairage d'urgence du tunnel. En bleu. Inutile de dire qu'on n'y voit goutte (Là, je comprends ce que devait être un voyage sur la ligne Nation-Étoile durant la guerre!). Et au tour des pompiers de s'élancer dans le noir, équipés de pied en cap de leur attirail comprenant le scaphandre...
Le chef des pompiers, après avoir localisé le foyer d'incendie, prend un téléphone et appelle la centrale des pompiers pour diriger les autopompes en surface vers la borne d'alimentation appropriée. Les colonnes sèches sont bien identifiées et leur addresse est indiqué à chaque emplacement, pour bien diriger les équipes en surface. La procédure prévoir l'envoi de deux autopompes provenant de deux casernes différentes, en cas d'accident à une d'elles.
Arrosage, recherche du bobo (une poubelle coincée dans un bogie, et un mannequin tombé entre deux voitures pour compléter l'illusion... Après une vingtaine de minutes de jeux d'eau (pas de gaffes majeures), deux pompiers ressortent de la fumée, tous ruisselants d'eau, et charriant la poubelle et le mannequin... «Mission bien missionnée, chef»!
Pendant ce temps, au bout du tunnel, papotages et commentaires sur ce qui se passe, le plus naturellement du monde. Le ventilateur est enfin actionné, ce qui permet d'évacuer la fumée en moins de cinq minutes... Les pompiers peuvent alors réenrouler leur tuyaux et se débarasser de leurs imperméables.
Après les salutations d'usage, nous quittons l'école des pompiers à bord de la rame (toujours dans la cabine) vers le garage, mais en passant par la station de métro pour rebrousser en avant-gare, parce que deux rames ont été garées sur une des voies d'accès, nous bloquant la voie. Le garde- moteur étant plutôt agé (disons qu'il n'a plus vingt ans...), je ne peux m'empêcher de lui demander combien d'années de service il a à son actif... Sa réponse (dix ans) me désappointe : il n'a pas travaillé sur les tramways... A ce moment, nous rebroussons chemin au travers de la station, et Pierre entre dans la cabine. Richard lui dit de faire attention, parce que l'atmosphère est explosive, suite aux questions que j'ai posées au garde-moteur (rires de ce dernier).
En bon politicien, Pierre se présente à ce dernier, et lui demande carrément si il a travaillé sur les tramways... Alors là, tout le monde se plie en quatre, sauf Richard, qui se plie en huit. Après les sempiternels avertissements de bien se tenir, c'est l'arrivée au garage, pour finalement le visiter. Garés, le courant est coupé, et nous descendons de la rame pour aller au bout du garage par une voie qui a été libérée (les rames ont étés garées en tunnel, spécialement pour nous permettre de marcher sur la voie). Même si le courant est coupé, les responsables nous expliquent bien que ce n'est pas une bonne idée d'aller regarder de trop près les barres de guidage... L'extrémité des voies est protégée par un butoir où se distingue une haute technologie : des sacs de sable sont empilés à près de 1m50 de hauteur, sur une largeur de plus de 2m...
Nous n'avons pas l'habitude de voir sept rames placées côte à côte, c'est inhabituel... Pour retourner à l'autre extrémité du garage, nous empruntons un étroit trottoir en bois, bordé de deux mains courantes et où se succèdent, vis-à- vis chaque voiture, des trappes donnant sur un évier destiné au lavage du plancher des voitures. C'est bien comme système, pas de sceau à trimballer et qu'on risque de renverser sur les barres de guidage...
A l'autre bout, la visite est théoriquement terminée. Tergiversations : Pierre aimerait bien ressortir par là, puisque il est à côté de chez-lui. Nous branlons dans le manche, parce que nous ne voulons pas déranger ces gens là en leur fesant prendre une rame pour nous ramener à Henri- Bourassa. Moi, je manifeste mon envie de retourner à pied, via le tunnel, ce qui ne peut malheureusement pas être accordé. Mais quand on nous dit que, de toutes façons, la rame doit retourner pour chercher les pompiers, nous acceptons et Pierre nous quite en montant l'escalier qui mène à la sortie, tandis que nous remontons à bord de la rame.
Repartis, nous stoppons un moment pour y faire monter les pompiers, et nous arrivons bientôt à Henri-Bourassa. Les pompiers descendent, et nous sommes invités à visiter le petit poste de terminus, situé à l'extrémité du quai. Normalement, l'exploitation est entièrement régie par ordinateur, et personne n'a à toucher à quoi que ce soit. Mais en cas de pépin, on peut faire rapidement face à la musique, localement.
Nous regardons passer quelques rames, et nous prenons congé de tout ce beau monde, et prenons la prochaine rame, comme de vulgaires voyageurs ordinaires.
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