Soirée rame ouverte


La station Parc voit s’y dérouler une bien drôle d’activité...
Cliché Marc Dufour

En 1988, la STCUM a décidé de s'ouvrir toute grande au public. Non seulement les ateliers du Métro étaient ouverts pour inspection, mais il y avait une nuit blanche organisée pour les oiseaux de nuit afin d'aller voir ce qui se passe la nuit dans le Métro.

Le public était convié à des randonnées nocturnes dans les tunnels, à partir de la station Parc (ligne 5), et où ils prenaient place dans des voitures très particulières : des wagons plats à ridelles sur lesquels étaient montés des sièges d'autobus, munis de ceintures de sécurité, pour satisfaire les normes de sécurité édictées par les instances...


La dernière génération de voitures du Métro de Montréal : des wagons-plats à ridelles munis de sièges d’autobus avec ceintures de sécurité!
Cliché Marc Dufour

Nous nous sommes donc pointés à la station Parc, vers une une heure du matin, après une petite soirée copieusement arrosée; la ligne 5 fermant plus tôt que les autres lignes, la marche forcée de quelques 10 pâtés de maisons à partir de la station Jean-Talon nous a pas mal dégrisés...

Nous entrons dans la station Parc par l'ancienne et vénérable gare Jean Talon (en réalité, Park Avenue) qui est fermée au traffic voyageurs depuis quelques années. L'escalier mécanique descendu, nous franchissons les tourniquets déverrouillés pour l'occation. Il règne dans la station une cohue indescriptible; une foule est ammassée sur le quai direction Snowdon, et quelques têtes casquées courent en tous sens : les responsables de la STCUM, quelque peu débordés par l'évènement. Mais, tout le monde arborant de larges sourires, c'est une cohue que la bonne-humeur générale rend très différente de l'heure de pointe habituelle...


Une draisine tout ce qu’il y a de classique poireaute sur la voie d’à côté. Notez les clignotants rouges placés de part et d’autre du ’chantier’.
Cliché Marc Dufour

La 'rame' spéciale à quai part bientôt, et disparaît dans le tunnel avec un contingent de fêtards, ce qui nous laisse tout le loisir d'admirer une draisine sur la voie d'à côté. Un employé arpente la voie, ostensiblement juché sur les barres de guidage, et répond au questions du public.

Une demi-heure plus tard, la 'rame' spéciale revient, et les voyageurs ravis en descendent. Malgré la bonne heure de retard sur l'horaire, tout le monde est de bonne humeur et attend patiemment son tour. Puis, les derniers descendus, nous nous préparons à monter à bord du tout dernier modèle de matériel roulant pour voyageurs en Métro de la STCUM...


Le chargement se fait avec bonne-humeur et sans hâte : ce n’est pas l’heure de pointe!
Cliché Marc Dufour

Tant bien que mal, nos billets sont vérifiés, et nous pouvons monter à bord de notre véhicule spécial. Quatre membres de notre groupe sont à bord quand je met le pied à bord, et on me coupe l'accès: 'C'est plein, vous prendrez le suivant'. Je répond: 'Nous sommes un groupe'. Hésitation. Puis je balançe les mots magiques: 'Ça ne nous dérange pas de voyager debout!'.

Nous montons donc, et nous installons confortablement au centre du wagon, sans subir l'ignominie de devoir mettre une ceinture de sécurité (un comble pour voyager en Métro!). Peu après, car nous sommes en retard sur l'horaire, le tracteur tirant notre 'rame' vrombit et nous nous ébranlons tranquillement. La 'rame' est composée de deux wagons-plats attellées de part et d'autre d'un tracteur.


Le tracteur affecté à notre rame : un tracteur agricole légèrement modifié, et muni d’une grande cabine pouvant accommoder six passagers. Oui, c’est bien un tracteur Mercédès!
Cliché Marc Dufour

Nous accélérons rapidement, à contresens, et quand nous nous engouffrons dans le tunnel qui relie la station Parc à la station De Castelnau. La voûte défile par dessus nos têtes à vive allure et elle amplifie le bruit du tracteur. Ça fait tout drôle de se promener au vent, comme ça, dans le tunnel. Nous nous cramponnons sur les ridelles, et nous ralentissons pour entrer dans le triangle de virage qui termine le tunnel de raccordement reliant la ligne 5 au ateliers d'Youville.

Nous entrons dans la courbe à toute petite allure, et débouchons dans le tunnel de raccordement qui, contre toute attente, s'avère être à deux voies. La voie sur laquelle nous roulons, la voie ouest, est tout ce qu'il y a de plus classique: voie de fer, pistes de roulement en béton et barres de guidage. Plus le trottoir tel qu'il existe dans tous les nouveaux tunnels (c'est à dire qui ne sont pas du réseau initial).


Une surprise nous attend plus loin: un vieux train de cueuillette est entreposé là.
Cliché Marc Dufour

L'autre voie, par contre, est plutôt différente : elle est munie de fosses de visite, et ne comporte pas de barre de guidage côté entrevoie. Et on y entrepose des vieux trucs, style le vieux train de cueuillette (en fait, des fourgons automoteurs) qui, jadis, ramassait les recettes et les poubelles en circulant entre les rames, vision fugitive qui égayait un voyage dans le Métro. (Et pourtant... Je le croyais espèce éteinte depuis longtemps quand j'ai eu l'immense surprise de le voir passer, un beau matin de janvier 1998)...

Mais ce train là ne semble guère joyeux. Il gît tristement là, toutes portes ouvertes, et, signe qui n'augure pas bien, il n'a plus ses roues de guidage.


Le raccordement à la ligne 5. Notez le rideau métallique pouvant fermer l’accès au tunnel de raccordement, ainsi que l’absence de barre de guidage sur le côté gauche du raccordement.
Cliché Marc Dufour

Nous stoppons un peu plus loin, puis rebroussons chemin. Déjà, cette excursion nous a donné infiniment plus que nous ayons rêvé d'avoir. Mais ce n'est qu'un début! Arrivés à la fin du tunnel, nous changeons de voie, puis nous nous engageons dans l'autre branche du triangle de virage. Aprês être émergés dans le tunnel de la ligne 5, nous poursuivons notre course folle vers l'est, toujours à contresens, mais à reculons cette fois. Dans notre manoeuvre, nous avons inversé l'orientation de notre rame...

Nous traversons à toute vitesse la station De Castelnau, complètement déserte, puis nous arrivons à Jean-Talon, qui est une de ces stations dont les quais sont superposés. Elle aussi est complètement déserte. Puis c'est à nouveau le tunnel. Mais nous ne nous rendons pas à Fabre, car nous stoppons à mi-chemin à un chantier, où travaillent quelques cantonniers.


Détail du tunnel. Au fond, le chantier — non, j’ai pas de photo du chantier.
Cliché Marc Dufour

Notre rame stoppe, puis le mécanicien arrête son moteur. Le son se réverbère quelque moment dans le tunnel, puis laisse place à un silence iréel. Pendant quelques secondes, les cantonniers et les passagers se dévisagent, muets. Puis ce sont les présentations. Un passager se risque à une question, puis un autre.

Le dialogue se poursuit pour quelques minutes, puis le chef de train annonce que nous devons repartir. Les ultimes salutations effectuées, le tracteur redémmare, puis nous refesons le trajet en sens inverse, dans le bon sens, cette fois ci. Jean-Talon, le tunnel, De Calstelnau, le tunnel encore. Mais nous ne passons pas par le raccordement pour revirer la rame de bord...

Nous arrivons à Parc. C'est la fin de notre virée. La fin d'un beau rêve, rêve dont lequel je n'aurai jamais osé rêver...

Hélàs, malgré le grand succès de cette opération peu ordinaire, elle ne fut pas répétée. Mais après telle merveilleuse expérience, quelle journée portes-ouverte ordinaire ne semblera pas un peu fade???

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